Malgré tous leurs efforts pour essayer d'y voir plus clair, Willibert, Edgar, Ehvok, Asha et Thibalde ne peuvent que s'avouer impuissants face à des événements qui les dépassent. Il y a quelques nuits, ils ont de nouveau rêvé d'Emrakul. La créature semblait cette fois planer au dessus d'eux, et plonger ses tentacules dans de vastes plaines. Des plaines comme il en existe partout, au Khanduras comme ailleurs sans doute. Livrés à eux-mêmes, les cinq malheureux sont incapables d'interpréter ce nouveau signe annonciateur.
Loin de leur apporter de nouveaux éléments, ce rêve ne fait que les perturber davantage, si bien qu'Ehvok expérimente de nouveau des hallucinations épisodiques, et qu'Asha peine encore à s'endormir allongée ou dans une pièce close depuis qu'elle a manqué de mourir dans un cercueil. Willibert et Asha ont toutefois noté un détail significatif dans leur cauchemar : au loin, les d'oiseaux aux alentours d'Emrakul semblaient voler à l'envers... comme si le temps était pour eux inversé. Mais s'agit-il d'un indice... ou d'un nouveau défi à la raison ?
Ces deux dernières semaines sont passées si vite, et tant de choses ont changé au village, que tout cela semble irréel.
Lazare n'était pas réapparu, et pour cause : Yaissa prétendait l'avoir transpercé de sa lance. A la surprise générale, Lazare aurait été un démoniste œuvrant pour une puissance maléfique... C'est du moins ce que tous les survivants de la troupe avaient affirmé, allant jusqu'à décrire les terribles flammes invoquées par le grand prêtre pour brûler vif Beorm.
Aidan ne s'était pas attardé sur le sort des deux serviteurs de Lazare. Qu'il leur fasse ou non confiance, il ne les avait pas accusé directement de complicité avec le grand prêtre. Il semblait partir du principe que ni l'ancien prêtre ni le sacristain ne faisaient partie des plans de Lazare pour réveiller une entité démoniaque prisonnière dans les sous sols de l'église. En raison de son expérience à ce poste, et un peu par défaut de candidats, Edgar avait été désigné pour reprendre la charge de prêtre du village, mais personne n'envisageait plus de revenir prier à l'église après ce qui s'était passé. Le magnifique édifice était voué à être durablement abandonné par la population encore terrifiée par ce qui se trouvait juste en dessous.
Compte tenu de sa profession peu habituelle Adria avait été activement recherchée en vue d'être sérieusement interrogée. La sorcière s'était présentée d'elle-même devant Aidan et avait consentie à l'accompagner à la capitale pour y répondre à toutes les questions qui pourraient lui être posées. La soudaine docilité de la sorcière n'avait pas trompé grand monde, mais les villageois étaient finalement rassurés de voir Adria quitter les alentours. Comment être certain des intentions d'une sorcière quand même le grand prêtre était décrit comme un démoniste ?
La troupe ne s'était pas éternisée au village, Aidan affirmant que les sous terrains avaient été entièrement purgé des démons qui s'y trouvaient. Tout danger semblait écarté, mais dans l'esprit des villageois, le mal était fait : le sol qui avait été durablement souillé par la présence des démons, avait également contaminé les bêtes. Et les événements anormaux ne cessaient de se multiplier depuis. Bêtes déformées à l'image du petit veau, créatures anormales aperçues à la lisère des bois, ombres étranges et rêves dérangeants, tout cela était vite devenu le quotidien des habitants de Tristram. Jusqu'à ce que les déformations atteignent aussi Cain, Graisette et Farhnam. Au premier il était apparu des yeux sur le front, et ces yeux indépendants semblaient chaque jour grignoter un peu plus de sa raison. A la seconde, deux nouvelles langues, qui l'avaient finalement étouffée après deux jours d'horrible souffrance. Le cas de Farhnam était plus difficile à préciser : le vieux pêcheur vivait isolé sur sa barque, à une centaine de mètres du rivage, sans plus jamais remettre pied à terre. Certains disaient l'avoir vu attraper des poissons avec... ses cheveux... Personne n'avait croisé son regard ou échangé la moindre parole avec lui depuis des jours.
Deux semaines, donc, on passé, laissant des traces sur le petit village. Dans ce contexte, évidemment, bon nombre de villageois envisagent de quitter Tristram, annonçant un exode qui semble inéluctable. Mais d'autres, comme Alric d'Alambert, le père de Willibert, soutiennent qu'il faut tenter de tirer partie de la situation, aussi désespérée soit-elle. Convaincu que des richesse exceptionnelles s'y trouvent, Alric désire monter une expédition pour fouiller les sous sols de l'église. Il a déjà réussi à convaincre une petite quinzaine de villageois en vue de cette expédition. Si Aidan et Yaissa n'ont pas menti, plus aucun monstre ne se trouve dans les sous terrains, et le père de Willibert s'est mis en tête de convaincre Asha ou Ehvok de les accompagner, afin qu'ils puissent traduire les textes écrits dans une langue ancienne qu'eux seuls maîtrisent au village. A défaut, il compte faire appel à Cain... mais le vieil homme ne semble plus vraiment avoir toute sa tête...
Au village, les avis sont donc divisés entre les partisans d'un départ immédiat et ceux qui refusent de partir sans rien. Dans les deux cas, c'est le soucis de la survie qui motive les villageois. Partir rapidement éviterait sans doute de nouvelles pertes, mais partir sans rien pour reconstruire, ailleurs, un nouvel habitat, n'est pas un sort plus enviable sur les terres du Khanduras. Personne en tous cas, ne semble plus attendre l'aide financière du roi Aidan. La façon dont le roi a quitté le village en disait assez long sur son désir d'oublier au plus vite cet endroit et les souvenirs douloureux qui y étaient rattachés. Aidan ne fera rien pour Tristram, et pour certains, il faut déjà s'estimer heureux qu'il n'aie pas fait brûler le village.
Sans Cain, Lazare ou Adria pour les guider, Willibert, Edgar, Ehvok, Asha et Thibalde se demandent ce qu'ils doivent faire, et quel parti prendre. Ils se trouvent tous les cinq sur la place ce matin-là, bien décidés à faire un choix commun. Le lien qui s'est créé entre eux à travers les visions est encore la dernière chose à laquelle ils puissent s'accrocher, et qui leur donne un minimum d'espoir sur leurs chances de pouvoir agir, d'une façon ou d'une autre. Leur décision se fera donc à la majorité, et tous ont accepté de se plier à la volonté du groupe.